SCHEERLINCK (François)

SCHEERLINCK, François (Voorde, 27 mars 1901 – Anvers, 27 mars 1969), agent de la sûreté coloniale, administrateur territorial, conseiller politique. 

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Archives générales du Royaume 2 - Dépôt Joseph Cuvelier, Ministère des Colonies. Administration d'Afrique. Personnel d'Afrique. Collection de dossiers individuels produits au Congo belge (SPA Colonie), Cote 4210.

François-Joseph (dit « Frans » ou « Franz ») Scheerlinck est né de l’union d’Édouard Scheerlinck (1863-1937), enseignant, et d’Hortense De Coene (1867-1953). Le père d’Édouard, Jozef, est l’oncle de Jean-Désiré Scheerlinck (1864-1910), lieutenant de la Force Publique, connu pour avoir tenté de libérer le sergent Henri De Bruyne, prisonnier de Sefu bin Hamid lors de la campagne de Francis Dhanis contre les Arabo-Swahilis. 

Le nom de François Scheerlinck réapparaît à deux moments clés de l’histoire du Congo belge : durant la Seconde Guerre mondiale, puis dans la période immédiatement avant l’indépendance du Congo. 

Avant d’arriver au Congo le 16 août 1928, Scheerlinck est cafetier à Jette et exerce comme courtier en hypothèques industrielles et autres. À son arrivée au Congo, il devient d’abord secrétaire au parquet à Albertville, puis quelques mois plus tard il est attaché au cabinet d’huissier du tribunal d’Élisabethville au Katanga. 

En quelques étapes, il gravit les échelons judiciaires : d’abord au service au greffe pénal à Élisabethville dès mars 1933, ensuite comme secrétaire adjoint du parquet, puis seul secrétaire au parquet d’Élisabethville à partir du 6 juillet 1933. Il termine son rôle comme agent de première classe de l’ordre judiciaire attaché au laboratoire de police technique du parquet d’Élisabethville. Entretemps, son épouse Rosalie Bertha Van Herreweghe travaille comme secrétaire de la direction de la succursale d’Élisabethville de la Banque belge d’Afrique. 

Après le déclenchement de la guerre, les activités de François Scheerlinck deviennent plus floues. Le 10 mai 1940, jour de l’invasion allemande nazie en Belgique, il est mis à la disposition du gouverneur de province Amour Maron[1], attaché exclusivement au service de la Sûreté congolaise, « en vue de participer aux divers devoirs relevant de la sûreté. » Après un an et demi dans cette fonction, Maron le décrit comme « [f]onctionnaire très intelligent et adroit, […] doué de beaucoup de sagacité dans l’accomplissement des difficiles et délicats devoirs imposés par la sûreté publique. » Il « a rendu à la Province et à la Colonie de très grands services ». Parmi les diverses tâches relevant de son rôle comme agent de la Sûreté, il fait partie de la commission de censure postale et exerce également des fonctions dévolues au vérificateurs des douanes et aux administrateurs territoriaux inspecteurs du service des affaires économiques. En août 1941, sa compétence territoriale est étendue à la province de Lusambo et il rejoint le cabinet du gouverneur général Pierre Ryckmans en qualité de commissaire de police assimilé au grade d’administrateur territorial de deuxième classe. Sa dernière promotion a lieu le premier juillet 1943 quand il devient administrateur territorial adjoint de première classe. 

Un épisode documenté durant la guerre est celui qu’on appelle l’« affaire Decoster », repris dans l'ouvrage Spies in the Congo de Susan Williams. L’OSS (Office of Strategic Services), service de renseignements extérieurs des États-Unis récemment établi, utilise un système d’intermédiaires (« cut-outs ») au Congo belge. Ces personnes non-américaines soutiennent l’OSS avec la récolte de renseignements, notamment pour traquer les trafics de diamants et, indirectement, d’uranium destiné à empêcher l’Allemagne nazie de s’en emparer. Le journaliste socialiste Jean Decoster fonde le journal l’Écho du Katanga en 1931 et milite pour les droits des travailleurs congolais. Il est choisi par l’OSS comme intermédiaire, malgré son profil plutôt particulier. L’OSS lui verse 100 000 francs pour enquêter sur le trafic de diamants et éventuellement en acheter au marché noir. Or, L’OSS suspecte Scheerlinck d’avoir des liens avec une femme britannique travaillant à la censure belge, que le responsable de l’OSS qualifie « d’agente soit allemande, belge ou britannique ». Le chef de station à Léopoldville Wilbur « Dock » Hogue est convaincu que Scheerlinck est impliqué dans le trafic. En revanche, la position de Decoster en tant qu’intermédiaire et la couverture de Hogue sont révélées par Scheerlinck en juillet 1944 lorsque Decoster tente d'acheter un diamant et révèle également le rôle de Hogue. Le rôle de Decoster reste confus : l’a-t-il trahi par confiance envers Scheerlinck et son collègue à Léopoldville Jean Beaudinet ? La couverture de Decoster est-elle découverte parce que les billets des 100 000 francs sont numérotés ? La Sûreté a-t-elle perquisitionné son domicile et découvert les 100 000 francs et une liste de Belges suspectés de sympathies nazies par les agents de l’OSS ? Des indices existent, mais aucune preuve irréfutable. Après la révélation de l’affaire, Hogue quitte le Congo belge et Decoster reprend son activité habituelle. 

Souffrant de problèmes médicaux, Scheerlinck sollicite sans succès sa mise à la retraite pour raisons de santé en septembre 1945. En novembre, subsidiairement à sa demande de mise à la retraite, il sollicite sa mise en disponibilité pour convenances personnelles, ce qui lui est accordé. 

Au terme de sa carrière dans le secteur public, Scheerlinck s’établit comme entrepreneur au Katanga et établit des contacts avec l’élite locale naissante durant les derniers jours de la colonie belge, notamment avec les membres de la Confédération des Associations tribales au Katanga (Conakat). Cette dernière est une organisation faîtière regroupant diverses associations locales, caractérisée par sa volonté de coopérer largement avec la population européenne et par sa vision fédéraliste, voire confédéraliste, du Congo. Lors de la Table ronde belgo-congolaise à Bruxelles, Scheerlinck est en contact quotidien avec Moïse Tshombe, futur président de l’État sécessioniste du Katanga, et son collègue politique de la Conakat, Godefroid Munongo. Il accompagne la délégation Conakat, composée notamment de Tshombe et Munongo, à la Table ronde économique belgo-congolaise de Bruxelles en mai 1960. Il supervise également les stagiaires de la Conakat en Belgique. 

À l’invitation de Tshombe, Scheerlinck arrive à l’aéroport d’Élisabethville le matin du 23 juin 1960, une semaine avant la proclamation de l’indépendance du Congo. Le 25 juin, il est arrêté, sa chambre d’hôtel perquisitionnée par la police judiciaire, ses biens fouillés et lui-même interrogé. L’administration coloniale a notamment eu vent d’une tentative de coup d’État initié par les membres de la Conakat. Dans sa serviette, les autorités trouvent une lettre, datée du 25 juin et adressée à Frans Scheerlinck, avec comme en-tête « Cabinet du Président du Conseil » de l’« État du Katanga ». Signée par le « Ministre de l’Intérieur » Godefroid Munongo et le « Président du Conseil des Ministres » Moïse Tshombe, le tandem de dirigeants nomme Scheerlinck « Ambassadeur spécial, chargé d’une mission au nom du Gouvernement du Katanga ». Le décret le nommant officiellement ambassadeur devait être publié le 30 juin 1960, indique la lettre, juste après le transfert des pouvoirs de la Belgique au « Gouvernement légalement constitué de l’État du Katanga ». Le 26 juin, il est à nouveau interrogé, cette fois à Léopoldville. 

Cet épisode remarquable est relaté dans l’ouvrage Fin de la souveraineté belge au Congo de Walter Ganshof van der Meersch, ministre-résident chargé des affaires générales en Afrique. Le livre est un recueil de sources ainsi qu’un compte rendu des réflexions personnelles de Ganshof van der Meersch. L’interrogatoire de Scheerlinck par un magistrat du Parquet du Procureur du Roi d’Élisabethville, reproduit sous forme anonymisée dans le livre, offre un aperçu éclaircissant d’une certaine vision d’un futur État katangais indépendant. Le 28 juin, le Katanga devait être déclaré indépendant et, simultanément, Scheerlinck devait demander la reconnaissance diplomatique de la Belgique. Cette reconnaissance devait également être sollicitée auprès les États-Unis, les pays voisins du Congo, le Royaume-Uni et le Portugal. Scheerlinck est en possession d’un billet d’avion pour New York et Washington pour éventuellement accompagner un Katangais qui lancerait un appel aux Nations Unies. L’idée d’indépendance du Katanga, déclare Scheerlinck, émanait des membres du gouvernement provincial en réaction « contre le danger Lumumba-communiste et l’expression de leur désir de séparer le Katanga du reste du Congo ». Cette réaction s’accompagnait d’« un désir certain de rester attaché à la Belgique et de conclure avec celle-ci une alliance économique... » 

La raison invoquée pour une déclaration d’indépendance katangaise avant le 30 juin tient à la crainte, chez les Katangais affiliés à la Conakat, que le gouvernement central puisse envoyer des troupes d’intervention si l’indépendance était proclamée après cette date. Le Premier ministre Lumumba ne disposait pas de pouvoirs ad hoc avant le 30 juin, selon Scheerlinck. L’histoire montrera toutefois qu’une proclamation d’indépendance sera plus facile après la passation de pouvoirs du 30 juin 1960. La tentative de coup d’État met en péril l’ensemble du processus vers l’indépendance, notamment les différentes séries de consultations, l’organisation des tables rondes belgo-congolaises, et la rédaction de la Loi fondamentale, document constitutionnel du Congo indépendant. L’establishment politique belge ne pouvait accepter une telle perte de face. Les intérêts financiers belges étaient aussi divisés sur les ambitions de Tshombe et de la Conakat à ce moment précis.[2] 

Le 28 juin, Walter Ganshof van der Meersch, accompagné du vice-gouverneur général du Congo belge André Schöller et d’une délégation du futur gouvernement central congolais, incluant le ministre de l’Intérieur Gbenye, mène des consultations avec le « gouvernement katangais », des conseillers belges et d’autres acteurs majeurs. Ces discussions aboutissent à un accord de principe par lequel les décideurs locaux renoncent à tout projet de sécession ou de formation d’un gouvernement dissident avant l’indépendance. Néanmoins, une autre tentative de sécession, également infructueuse et sans la participation de Scheerlinck, a lieu le 29 juin. 

Finalement, onze jours après la proclamation de l’indépendance du Congo, le Katanga fait officiellement sécession sous la direction de Tshombe – une sécession que les Nations Unies finiront par faire échouer par la force en janvier 1963. 

Après l’épisode de tentative de coup d’État, Scheerlinck disparaît de nouveau dans l’anonymat. Il décède le 27 mars 1969, jour de son 68ème anniversaire, à Anvers. 

Colin Hendrickx 
colin.hendrickx@da-vienna.at 

Sources inédites 

Le dossier de fonctionnaire colonial de François Scheerlinck est conservé dans le dépôt Joseph Cuvelier des Archives de l’État : 

Archives générales du Royaume 2 – Dépôt Joseph Cuvelier, Ministère des Colonies. Administration d'Afrique. Personnel d'Afrique. Collection de dossiers individuels produits au Congo belge (SPA Colonie), Cote 4210 et 17673. 

Travaux scientifiques 

Chomé (J.), Moïse Tshombe et l’escroquerie katangaise, Brussels, Fondation Joseph Jacquemotte, 1966, pp. 219-228 (“Un coup d’État avorté”). 

Lemarchand (R.), The Limits of Self-Determination: The Case of the Katanga Secession, The American Political Science Review, 56, 1962, n°2, pp. 404-416. 

Ganshof van der Meersch (W.), Fin de la souveraineté belge au Congo : Documents et réflexions, Brussels, Institut royal des Relations internationales, 1963, pp. 579-585 (« Nouvelle tentative de sécession au Katanga »). 

Gérard-Libois (J.), Sécession au Katanga, Brussels/Léopoldville, Centre de Recherche et d’Information socio-politiques / Institut national d’Études politiques, pp. 77-82 (« Les tentatives de sécession à la veille de l’indépendance congolaise »). 

Williams (S.), Spies in the Congo: America’s Atomic Mission in World War II, New York, PublicAffairs, 2016.

 

[1] Le gouverneur provincial Maron devient tristement célèbre après avoir tué, à bout portant, Léonard Mpoyi, un gréviste de l’Union minière en 1941, alors que celui-ci tentait de négocier avec lui. Par la suite, il ordonne à la Force publique de tirer sur les grévistes, ce qui entraîne environ 70 morts et 100 blessés.

[2] R. Lemarchand, The Limits of Self-Determination: The Case of the Katanga Secession, The American Political Science Review, 56, 1962, n°2, p. 414.

 

Tomaison

Biographical Dictionary of Overseas Belgians