VILAIN XIIII, Madeleine (Uccle, 4 août 1905 – Uccle, 8 février 1994), fondatrice d’une association de missionnaires laïques active dans le travail social, la formation des femmes africaines, et initiatrice d’un mouvement de jeunesse féminin au Congo.
Née dans une famille appartenant à la vieille noblesse belge, la vicomtesse Madeleine Vilain XIIII est la cinquième enfant de Marie de Brouchoven de Bergeyck et de Georges Vilain XIIII (homme politique de Flandre Orientale, qui fut bourgmestre de Bazel, conseiller provincial et sénateur).
Issue d’un milieu catholique, elle fréquente à Louvain les Cercles missionnaires estudiantins du jésuite Pierre Charles, qui cherche à renforcer l’action catholique au Congo par l’aide de laïcs bien formés sur le plan intellectuel et moral. Elle participe à l’efflorescence des nouveaux mouvements de la jeunesse catholique qui s’investissent dans l’Église et dans le projet colonial, dans la mouvance de l’Action Catholique qui prend son essor durant l’entre-deux-guerres. Ces mouvements s’inscrivent dans le nouvel esprit missionnaire initié par l’encyclique Maximum Illud de Benoît XV (1919) sur la nécessité d’adapter l’apostolat missionnaire aux mentalités locales, et par l’encyclique Rerum Ecclesiae de Pie XI (1926) sur la formation d’un clergé autochtone.
Avec d’autres jeunes filles, Madeleine Vilain XIIII crée au sein de l’Association Universitaire Catholique d’Aide aux Missions (AUCAM), fondée en 1925 par Pierre Charles, un petit groupe désireux de se consacrer à l’action missionnaire sans pour autant entrer dans une congrégation. À l’époque, l’idée est neuve : pratiquement aucun laïque ne travaille avec les populations africaines, ces services étant massivement rendus par les communautés religieuses. Quelques jeunes filles se préparent au départ en suivant une formation d’infirmière ou d’assistante sociale. Madeleine Vilain XIIII suit la formation de l’École sociale de la rue de la Poste à Bruxelles, consacrant son travail de fin d’études en 1932 à Quelques réflexions sur l’aide aux mulâtres. Son implication dans la problématique du métissage passe également par la fonction de secrétaire générale de l’Œuvre pour la protection des mulâtres fondée à Bruxelles en 1932. Elle obtient également le certificat de l’Institut de médecine tropicale d’Anvers.
Elle fonde l’association des Volontaires du Service médical, éducatif et social (VSMES), dont les statuts sont publiés le 16 avril 1932 au Moniteur belge. Elle en devient la présidente en Belgique, ainsi que la représentante légale en Afrique. Les statuts précisent que « l’association a pour objet toutes les activités qui, dans les pays de mission, tendent au bien-être physique, moral, intellectuel, religieux des populations ».[1] D’autres associations laïques suivront, dont les Auxiliaires laïques des missions (ALM, 1937).
En 1933, Madeleine rencontre en Belgique le Vicaire apostolique du Haut-Katanga Jean-Félix de Hemptinne, qui sollicite l’aide des VSMES pour soutenir l’apostolat au Katanga et prendre en charge les femmes africaines vivant dans la cité industrielle de Lubumbashi. Comme de nombreux acteurs coloniaux, tout spécialement les missionnaires, Mgr de Hemptinne s’inquiète de la concentration accélérée, à la périphérie des centres industriels et des villes, de populations considérées comme déracinées venues de toutes les régions du Congo. Il craint que la vie urbaine pousse les femmes éloignées du cadre ‘coutumier’ à s’adonner à la prostitution ou à une vie oisive. L’aide de missionnaires chrétiennes laïques s’immergeant dans les cités pousserait les femmes congolaises à adopter une morale familiale et chrétienne, tout en ayant les moyens de se procurer des revenus ‘honnêtes’ grâce à leur travail dans les ateliers de foyers sociaux par exemple.
L’association des Volontaires répond favorablement à la demande de Mgr de Hemptinne. Après six mois de stage en Afrique du Nord, patronnées par l’AUCAM, Madeleine Vilain XIIII et Germaine Dutillieux partent fin décembre 1933 pour le Katanga avec un double objectif : fonder et diriger un ‘Foyer social indigène’ à Élisabethville et organiser le guidisme congolais. Ces deux volets d’activité ont en commun le public visé : les jeunes filles et les femmes africaines. Arrivées à Élisabethville le 18 janvier 1934, elles effectuent un stage à l’hôpital Prince Léopold. Puis, épaulées par le catéchiste Benoît Mwanke, elles effectuent une série de visites à domicile, afin, selon les recommandations de Mgr de Hemptinne, de « prendre contact avec les femmes africaines de la ville et de voir avec elles comment les aider à se situer dans leur milieu de vie urbaine et à y vivre en chrétiennes authentiques. »[2]
En 1935, Madeleine Vilain XIIII fonde et dirige le premier Foyer social de la Colonie, dans la paroisse Saint-Jean de Kamalondo. Le nom de ‘Foyer social’, forgé par sa collègue Germaine Dutillieux, est ensuite adopté dans toute la Colonie. Les foyers sociaux deviennent des éléments-clés de la ‘politique indigène’. En effet, ils doivent servir à éduquer et à intégrer les populations rurales nouvellement venues dans les villes. On y assure des cours de lecture et écriture, mais surtout des cours d’enseignement ménager (couture, tricot, repassage, cuisine), ainsi que des consultations prénatales et postnatales, des cours de puériculture et des consultations de nourrissons.
Madeleine, consciente de la nécessité de s’adresser non seulement aux femmes adultes, mais également à la jeunesse féminine non scolarisée, fonde en 1937 la première compagnie Guide du Congo pour jeunes filles et femmes mariées africaines, en collaboration avec l’Union des femmes coloniales et avec le bénédictin Ferdinand Fallon. Hormis quelques initiatives isolées, les mouvements de jeunesse sont encore quasi inexistants dans la colonie belge. Pendant la Seconde Guerre mondiale, en raison de la rupture des communications avec la métropole, Madeleine opère un rapprochement avec le guidisme sud-africain. Elle rencontre Lady Baden Powell en 1942 et organise des séjours au centre de formation des Guides d’Afrique du Sud. Cette proximité avec le mouvement sud-africain débouche sur l’adoption d’une politique de non-mixité raciale dans le mouvement Guide congolais, contrairement à ce que pratiquaient les Scouts du Katanga. La ségrégation transparaît notamment dans le port d’uniformes différents pour les Africaines et les Européennes. Les Guides africaines sont orientées vers la formation ménagère, la cuisine et l’artisanat (poterie, vannerie), ce qui n’est pas le cas de leurs homologues européennes. En 1947, Madeleine Vilain XIIII obtient la reconnaissance officielle de l’Association des Guides catholiques du Congo dont elle devient la commissaire nationale jusqu’en 1960.
Pendant la Seconde Guerre mondiale également, les Volontaires actives au Congo étant coupées de tout contact avec la métropole, Madeleine œuvre à leur reconnaissance officielle dans la Colonie et obtient leur personnification civile le 17 octobre 1940, sous la dénomination de Société des Assistantes missionnaires. Elle en est la représentante légale. La médaille de l’effort de guerre colonial 1940-1945 qui lui est attribuée à la fin de la guerre acte l’importance de la contribution des foyers sociaux du Katanga pendant le conflit mondial, ces derniers ayant notamment fourni en vêtements la population locale africaine et européenne, ainsi que les ouvriers de l’Union minière.
Après la guerre, la Société des Assistantes missionnaires reprend la même dénomination qu’en Belgique et devient les Volontaires du Service médical, éducatif et social (ordonnance 94/AIMO du 18 mars 1947). Les postes desservis par l’association se multiplient et le travail social prend une extension beaucoup plus importante, notamment dans la perspective de l’appel du gouverneur général Pierre Ryckmans à compenser l’effort de guerre fourni par les populations.
Madeleine Vilain XIIII est également active au sein du comité de direction du Centre d’études des problèmes sociaux indigènes (CEPSI) fondé après la guerre. Elle poursuit ses activités sociales au Congo après l’indépendance et ne quitte l’Afrique centrale qu’en 1988, après 55 ans de travail social dans le pays.
Anne Cornet
Musée royal de l’Afrique centrale
30 juillet 2023
Sources inédites
Dossier personnel de Madeleine Vilain XIIII (Archives de l’Association des Volontaires du Service médical, éducatif et social, devenu Entraide médicale et sociale, Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren, en cours d’inventaire, boîte n°10).
Dossier sur l’historique de l’association des VSMES (Archives de l’Association des Volontaires du Service médical, éducatif et social, Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren, en cours d’inventaire, boîte 20), dont Allocution prononcée à l’occasion du baptême du home des jeunes filles sis sur l’avenue des femmes katangaises dans la zone de Lubumbashi à Lubumbashi, 30 avril 1994.
Voyage Meert 1955, p.21 (Archives de la Jeunesse ouvrière chrétienne féminine-JOCF, Bruxelles, Fonds Congo).
Sources publiées
- Publications de Madeleine Vilain XIIII
Vilain XIIII (M.), Lettre, in Envoi aux Guides, février 1934, p. 16.
Vilain XIIII (M.), Le Foyer social indigène d’Élisabethville, in Revue de l’AUCAM, mars 1937, pp. 172-179.
Vilain XIIII (M.), Les Guides Catholiques au Congo belge, in Le Soc, mai 1945, non paginé.
Vilain XIIII (M.), Le guidisme au Congo belge, in Grands Lacs, 62, novembre 1946, n° 2, pp. 131-134.
Vilain XIIII (M.), Service social et famille, in Revue de l’AUCAM, 1er trimestre 1946-1947, n° 1, pp. 41-51.
Vilain XIIII (M.), Quelques réflexions sur l’aide aux mulâtres, travail de fin d’études, École sociale, Bruxelles, 1932, inédit.
- Autres sources publiées
Avis nécrologique concernant Madeleine Vilain XIIII, in Le Soir, 8 mars 1994.
Borgerhoff (E.), Une conférence de Melle Vilain XIIII au Lyceum (Œuvres sociales), in Bulletin de l’Union des Femmes coloniales, 14, avril 1937, n° 78, p. 6.
Bulletin officiel du Congo Belge 1947, II, p. 358.
Bulletin officiel du Congo Belge 1949, I, p. 724.
Dutillieux (G.), Activités sociales et éducatives complémentaires d’un foyer social, in Problèmes sociaux congolais. Bulletin trimestriel du Centre d’études des problèmes sociaux indigènes (CEPSI), n°44, mars 1959, pp. 97-105.
Charles (P.), Assistantes sociales au Congo, in Revue de l’AUCAM, 9, janvier 1934, p. 31.
Coussement (G.) Dom., Le Foyer social indigène d’Élisabethville, in Bulletin des missions, 2, 1935, pp. 68-80.
Hanquet (A.), Foyer indigène d’Élisabethville, in Revue de l’AUCAM, 10, juin 1935, n° 5-6, pp. 262-266.
Hanquet (A.), Foyer indigène d’Élisabethville, in L’AUCAM après 10 ans, 1925-1935, Louvain, Éditions de l’AUCAM, 1935, pp. 42-46.
Le Foyer social pour femmes indigènes à Élisabethville, in Revue coloniale belge, novembre 1946, n° 27, p. 307.
L’Œuvre de la protection des mulâtres, in Revue de l’AUCAM, 9, novembre 1935, pp. 367-373.
Volontaires du Service médical, éducatif et social, Bruxelles, Association des Volontaires du Service médical, éducatif et social, 1950.
Travaux scientifiques
Feltz (G.), Note sur les structures de pouvoir de la mission bénédictine au Katanga, 1910-1958, in Bulletin des séances de l’Académie royale des Sciences d’Outre-Mer, 31, 1985, n° 4, pp. 489-506 (dont entretien avec Madeleine Vilain XIIII et Germaine Dutillieux, Lubumbashi, 19 mars 1975).
Jeurissen (L.), Quand le métis s’appelait « mulâtre ». Société, droit et pouvoir coloniaux face à la descendance des couples eurafricains dans l’ancien Congo Belge, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia et Sybidi (coll. Cahiers Migrations, n° 29), 2003.
Wittemans (S.), Le guidisme catholique au Congo belge et au Ruanda-Urundi, 1923-1960, Bruxelles, 2008 (Cahiers d’histoire belge du scoutisme, n° 3).
[1] 1932-1982. un demi-siècle d’activité de notre association, Entraide éducative et sociale asbl, 1982 (feuillet de présentation ronéotypé) (Archives des Volontaires du Service Médical, éducatif et social, en cours d’inventaire, Musée royal de l’Afrique centrale).
[2] Évolution de l’association, document de 1990 de l’Entraide éducative et sociale (Archives des Volontaires du Service Médical, éducatif et social, en cours d’inventaire, Musée royal de l’Afrique centrale).
Biographical Dictionary of Overseas Belgians