DE SAEGHER (Marcellin)

De Saegher, Marcellin (Ledeberg, 31 mai 1858 – Meerhout, 12 juillet 1896), magistrat et directeur de la Justice de l’État indépendant du Congo (ÉIC).

En 1880, il obtient le titre de docteur en droit à l’Université de Gand et s’inscrit au barreau. Huit ans plus tard,il s’engagecomme magistrat à l’ÉIC. Ce départ de la métropolerésulte d’une situation familiale difficilepour laquelle l’avocat contribue au paiement des dettes de son père.S’embarquant avec le commissaire de district Hubert Lothaire, il arrive en Afriqued’emblée comme juge du Tribunal de 1ère Instance car l’organisation judiciaire congolaise est encore au stade embryonnaire. Sans compter que la Justice soulève l’hostilité de hauts fonctionnaires issus des cadres de l’armée belge tels Léon Roget, premier commandant de la Force publique. Ce contexte favorise le renforcement des liens personnels entre magistrats, ce qui est le cas dans un premier temps entre De Saegher et le futur gouverneur général Félix Fuchs.

L’administrateur général en charge de la Justice, Edmond van Eetvelde, projetant d’affermir le troisième pouvoir, demande à De Saegher de l’informer périodiquement. Celui-ci accomplit ses devoirs avec zèle et accède rapidement aux fonctions de directeur de la Justice (1889), puis à celles de procureur d’État (1891). Bien qu’il se considère dépourvu d’ambition personnelle, il intègrela haute sphère du pouvoir. Ainsi, à l’exemple d’autres magistrats, il devient un proche conseiller des gouverneurs généraux successifs, fonction pour laquelle il s’estime peu apte surtout dans le domaine du droit international. Son profil l’amène de surcroît à être choisi pour une mission dans le Haut-Congo visant, d’une part, à donner une impulsion aux tribunaux existants et, d’autre part, à informer le Gouvernement central sur leur fonctionnement. Au cours de cette mission d’inspection qui se déroule entre 1891 et 1893, années de grands changements politiques, il traverse le district des Cataractes, gagne Léopoldville et parcourtle territoire relevant de la compétence de l’inspecteur d’État Guillaume Van Kerckhoven, commandant de l’expédition vers le Nil. Il pousseensuite jusqu’aux Stanley-Falls avant de regagner le siège du Gouvernement local. Lors de ce voyage, il se lie d’amitié avec un autre inspecteur d’État,Édouard Fivé.

Une communion d’idées semble se créer entre les deux hommes sur ce que doit être le Congo léopoldien. Persuadé par le discours officiel de la « mission civilisatrice », De Saegher veut radicalement changer les cadres et la mentalité de l’administration. En ce sens, il ne peut poser qu’un constat très négatif sur le fonctionnement de la Justice. D’après lui, les fonctionnaires établis également comme officiers judiciaires placent au mieux ce devoir en bas de liste de leurs priorités, au pire certains usent de méthodes qu’il réprouve.Catholique convaincu, il rêve d’un gouvernement chrétien et est fortement hostile à la présence des Arabo-swahilis. Par ailleurs, il considère l’exploitation intensive du caoutchouc comme improductiveà long terme et dommageable pour les populations locales.

Sa mission considérée comme un succès par le Gouvernement,il regagne le vieux continent et s’attache à formulerdes propositions de réformes.De Saegher insiste tout particulièrement sur l’établissement d’un Parquet dans le Haut-Congo doté d’une magistrature professionnelle. De son côté, Fivé manœuvre auprès des collaborateurs de Léopold ii. L’inspecteur d’État a été rappelé à Bruxelles au vu de ses agissements au cours du conflit avec les Arabo-swahilis, où il a non seulement outrepassé les ordres du Gouvernement mais également ses prérogatives. Entré en conflit avec Fuchs, il tient ce dernier responsable de son désaveu et décide alors de le contrecarrer en plaidant la nécessité des réformes et en soutenant De Saegher dans ses démarches.

Cependant, l’heure bruxelloise n’est plus à l’affirmation de l’État de droit mais bien à celle de la raison d’État. Dès lors, ses réformes ne passent pas malgré toute la considération dont il bénéficie. D’apparence loyale, De Saegher exècre les méthodes et les contradictions gouvernementales. Il établit logiquementune distance,notamment en refusant le grade d’inspecteur d’État, et quitte sa réserve habituelle dans des propos accordés à La Réforme du 20 septembre 1893.

De retour au Congo en 1894, il officie en tant que juge de 1ère Instance et collationne des preuves sur les pratiques de l’ÉIC, en particulier sur l’exploitation outrancière du caoutchouc et l’utilisation de la violence par les agents de l’État. Il est donc surprenant de le voir proposer à Lothaire de le défendre dans le procès résultant de l’exécution de Charles Stokes. En effet, le commissaire de district – officiant comme juge du conseil de guerre – avait pendu le commerçant irlandais en janvier 1895. Si le fait passe pour être sans importance aux yeux du Gouvernement central, les protestations des chancelleries anglaise et allemande l’obligeront à demander l’ouverture d’une enquête.

Pour Émile Steyaert, l’un de ses amisqui n’est autre que le président du Tribunal de 1ère Instance de Gand, cette attitude lui conférera une solide autorité pour dénoncer les abus du régime léopoldien. Par ailleurs, le professionnalisme de De Saegher est sans faille : il défend impeccablement son client. Il estime sans doutein pettoquemalgré les vices de Lothaire, la responsabilité incombe avant tout à la politique des résultats prônée par les sphères gouvernementales. Quoiqu’il en soit, De Saegher, malade, regagne la Belgique et s’éteint chez le docteur Henri De Marbaix, qui fut chargé par l’ÉIC des premières recherches sur les maladies tropicales au Congo.

Nous ne connaîtrons dès lors jamais les suites que De Saegheraurait pu donner à son action. Homme entier et de principes, ses supérieurs n’ont d’ailleurs pas mis à jour ses pensées.Redécouverte au début du 21e siècle,sa correspondance privée laisse cependantà l’historien un témoignage certes de tout premier planmais empreint de passion et de révolte sur les travers du Congo léopoldien.

 

Pierre-Luc Plasman
5 juillet 2012
Université catholique de Louvain

 

Sources inédites

 

Musée Royal de l’Afrique centrale (KMMA - MRAC), Tervuren, archives Marcellin De Saegher.

 

Travaux scientifiques

 

Coosemans (M.), Marcellin De Saegher, bcb, t. iii, Bruxelles, 1952, pp. 762-763.

Vangroenweghe (D.), Voor rubber en ivoor: Leopold II en de ophanging van Stokes, Louvain, Van Halewyck, 2005.

Tomaison

Biographical Dictionary of Overseas Belgians